La fabrique du Grand Robert

Projet titanesque et ambitieux, l’élaboration du dictionnaire Le Robert a pris naissance au Maghreb. De 1945 à 1951, Paul Robert travaille seul sur son projet, dressant des listes d’associations d’idées à l'échelle du lexique de la langue française. Il établit le corpus et le résesau de renvois qui allaient constituer la structure de son futur dictionnaire. Pour cela, il s'appuie sur l'étude des dictionnaires existants comme le Littré, et sur la collecte de plusieurs centaines de milliers de citations destinées à mieux recenser et illustrer les définitions. 

 

« J’ai le grand plaisir de vous annoncer que l’Académie vous a décerné, hier,

le prix Saintour pour votre dictionnaire. Je vous dis mes vives félicitations

et mes vœux pour l’achèvement de votre beau travail. » Emile Henriot

En 1950, le prix Saintour est décerné par l’Académie française au premier fascicule du dictionnaire. Ce prix marquait le couronnement anticipé d'une œuvre qui n'était encore à l’époque qu'un vaste chantier - et qui nécessitait grandement le soutien et la reconnaissance d'une institution aussi illustre que l'Académie française, afin d'aboutir. Cet encouragement institutionnel de taille vient asseoir la conviction de Paul Robert.

En 1951 la SNL (Société du Nouveau Littré – dictionnaire Le Robert) est fondée simultanément à Alger où réside Paul Robert, et où s'installe la rédaction, et à Casablanca, où s'organise la commercialisation et l'administration de la nouvelle entreprise. Alain Rey est le premier rédacteur à rejoindre Paul Robert. Frais émoulu de Sciences Po, il débarque à Alger après avoir répondu à une petite annonce parue dans le Figaro et envoyé son projet d'article consacré au mot "Autel". Un an plus tard, en 1952, l’équipe rédactionnelle rejoint le siège social à Casablanca.  A cette époque, les principaux collaborateurs de Paul Robert sont Alain Rey (secrétaire général de la rédaction), Josette Debove, Henri Cottez, Robert le Bidois, et Wanda P. Robert.

Les souscriptions s’organisent en même temps que la rédaction des articles. Les premiers fascicules s’écrivent à la main, sur des cahiers quadrillés. Les premières relations analogiques donnent corps à la méthode d’association des idées. « Auditoire » renverra à « Assemblée », « Agape » à « Banquet », « Baïonnette » à « Arme », « Balnéaire » à « Bain ».

Le public qui a soutenu l’entreprise aux premières heures s’élargira, pour finalement gagner le cœur de toute la francophonie. Le financement chaotique de la Société bénéficiera grandement des souscriptions venues des différents continents. Parmi les divers souscripteurs, les écrivains ont été les premiers à encourager Paul Robert dans son projet lexicographique, rendant possible sa fabrication. Georges Duhamel et André Maurois entre autres, ont ardemment soutenu l’audace de Paul Robert, leurs encouragements venant s'ajouter à la consécration de son entreprise et la reconnaissance du nouveau Dictionnaire Robert par l’Académie française en 1950.

Les auteurs francophones du XX° siècle ont reconnu les premiers l’importance qu’allait revêtir cette entreprise pharaonique, guidée par l’idée toute simple de la mise en rapport analogique des significations. Leur soutien et leur mobilisation ont été déterminants dans la poursuite d’une entreprise qui allait rapidement excéder les forces d’un seul homme. 

Lorsque les 6 tomes paraissent en 1964, la liste des collaborateurs s’est allongée, et l’œuvre est achevée. Il ne restera plus qu’à appliquer la méthode analogique à une sélection des mots usuels pour rendre ce trésor plus maniable au quotidien. Ce sera la parution du Petit Robert en 1967 qui parachèvera ce travail. Le Robert est de nouveau salué par l'Académie française : « Le Robert n’est rien de moins qu’une des œuvres françaises les plus importantes de l’heure, un admirable exemple de ce que peuvent l’esprit d’initiative, l’audace dans l’entreprise et la ténacité des Français quand ils veulent. (…) Notre Littré, c’est le Robert.» Daniel-Rops